Répertoire des notions coloniales par ordre alphabétique
Le nègre, lorsqu’il s’est préservé de la folle manie de singer, a une danse qui lui est propre, et qui, apportée originairement d’Afrique, a un grand charme pour les hommes nés dans cette partie du monde. Les nègres créoles la chérissent aussi, parce que c’est celle qu’ils ont connue depuis la plus tendre enfance.
Les peuples Africains me servent encore ici de preuves de la passion qu’ont pour la danse les habitants placés entre les tropiques, puisqu’ils sont tous sensibles à ce plaisir avec les proportions que j’ai annoncées comme dépendantes du genre de vie et de la nourriture. Les nègres de la Côte-d’Or, belliqueux, sanguinaires, accoutumés aux sacrifices humains, ne connaissent que des danses féroces comme eux: tandis que le Congo, le Sénégalais et d’autres Africains cultivateurs, aiment la danse comme un délassement, comme une source de voluptés. Amenés de toutes les parties d’Afrique dans nos Colonies, dont le climat est analogue au leur, les nègres y apportent et y conservent leur penchant pour la danse, penchant si puissant, que le nègre le plus fatigué par le travail, trouve toujours des forces pour danser et même pour aller à plusieurs lieues satisfaire ce désir.
Quand les nègres veulent danser, ils prennent deux tambours, c’est-à-dire, deux espèces de tonneaux d’inégales longueurs, dont l’un des bouts reste ouvert, tandis que l’autre reçoit une peau de mouton bien tendue. Ces tambours (dont le plus court se nomme Bamboula, parce qu’il est fait quelquefois d’un très gros bambou qu’on a creusé), résonnent sous les coups de poignet et le mouvement des doigts du nègre qui se tient à califourchon sur chaque tambour. On frappe lentement sur le plus gros, et avec beaucoup de vélocité sur l’autre. Ce son monotone et grave est accompagné par le bruit d’une certaine quantité de petites calebasses où l’on a mis des cailloux et qui sont percées dans leur longueur par un long manche qui sert à les agiter. Des Banzas, espèces de guitares grossières à quatre cordes, se mêlent an concert dont les mouvements sont réglés par le battement de mains des négresses qui forment un grand cercle. Elles composent toutes une sorte de choeur qui répond à une ou deux chanteuses principales, dont la voix éclatante répète ou improvise une chanson.
Un danseur et une danseuse, ou des danseurs pris en nombre égal dans chaque sexe, s’élancent an milieu de l’espace et se mettent à danser, en figurant toujours deux à deux. Cette danse peu variée, consiste dans un pas fort simple où l’on tend successivement chaque pied et où on le retire en frappant plusieurs fois précipitamment de la pointe et du talon sur la terre, comme dans l’anglaise. Des évolutions faites sur soi-même ou autour de la danseuse qui tourne aussi et change de place avec le danseur, voilà tout ce qu’on aperçoit, si ce n’est encore le mouvement des bras que le danseur abaisse et relève en ayant les coudes assez près du corps et la main presque fermée; la femme tient les deux bouts d’un mouchoir qu’elle balance. On croirait difficilement, quand on n’a pas vu cette danse, combien elle est vive, animée, et combien la rigueur avec laquelle la mesure y est suivie, lui donne de grâce. Les danseurs et les danseuses se remplacent sans cesse, et les nègres s’y enivrent d’un tel plaisir, qu’il faut toujours les contraindre à finir cette espèce de bals nommés Kalendas [En Celte GAL-VEN-DA; ce qui signifie Appèle donc; sans doute à cause du bruit du tambour], qui ont lieu en plein champ et dans un terrain uni, afin que le mouvement des pieds ne puisse y rencontrer aucun obstacle.
Il serait difficile de méconnaître à ces traits une danse simple, primitive, et appartenant à des peuples chez lesquels la civilisation a encore presque tout à faire. Cette disposition circulaire, ces battements de mains, ce chant à refrain, ces instruments bruyants, tout dépose en faveur de l’ancienneté de cette danse qui, comme je l’ai dit, appartient à l’Afrique, où ses caractères existent presque partout, même chez les Hottentots.