« Trinidad est l’un des plus anciens pays pétroliers du monde. Les industries pétrolières et dérivées constituent les trois quart de son P.I.B.. Sans la présence abondante de bidons d’huile et de pétrole dans les décharges publiques et le proche environnement des Trinidadiens, la musique des steelbands aurait-elle pu un jour jaillir des faubourgs populaires de Port of Spain?
Car les fils d’esclaves ou de paysans afro-antillais n’en étaient pas à leurs premières expériences de récupération. A la suite des émeutes dites des Camboulay en 1881, les autorités britanniques avaient interdit aux Noirs l’usage du tambour à peau pendant les fêtes et, malgré l’émancipation des esclaves en 1838, l’étau colonial ne s’était pas pour autant desseré. Dès cette époque, alors que les steelbands ne sont pas encore nés, les journaux s’en prennent aux musiques des Antillais considérée comme « une répétition monotone et ennuyeuse de sons, rendue encore plus désagréable par sa portée, la vigueur musculaire du musicien et la très grande capacité de réverbération de l’instrument ». Alors faute de pouvoir utiliser le tambour pour scander les kalindas, chansons qui préfigurent les calypsos, et accompagner les combats de bâton (stickfights), les anciens esclaves vont se tourner vers le bambou que l’on trouve à profusion dans les champs de canne à sucre.
Les orchestres de tamboo-bamboos qui apparaissent au début du siècle battent ainsi en rythme de longs tuyaux de bambou sur le sol. Une bouteille à moitié remplie d’eau et frappée avec une cuillère ainsi qu’une rape grattée avec un morceau de métal viennent compléter le tout. Les bambous étaient habituellement coupés les nuits de pleine lune, puis on les laissait sécher pendant une semaine ou plus, avant de les travailler. Chaque tige de bambou, selon qu’elle était destinée à devenir basse, fuller ou cutter, avait une taille différente.
Aussi rudimentaires et éloignés des steelbands actuels que puissent sembler les orchestres de tamboo-bamboos, ils n’en sont pas moins une étape décisive de l’évolution de la musique à Trinidad. Et bien qu’il soit difficile d’expliquer le passage du tambour au bambou, puis au steeldrum, il faut sans cesse garder à l’esprit que le principe qui gouverne les pratiques musicales des Trinidadiens afro-antillais est bien celui de la récupération et que les changements dans l’usage des différents instruments, loin d’être le produit de ruptures brutales liées à des interdictions successives comme semblent l’attester certains auteurs trinidadiens (Elder, 1964, 1969; Borde, 1973; Blake, 1995) ne se sont faites que progressivement et en mêlant très souvent tambours, bambous et idiophones. »
Extrait du site LAMECA – Pour en savoir plus